Description
Lamin est un village war du Nongtalang situé sur la colline à l'opposé de Nongbareh dont les principaux clans fondateurs sont venus de Nongbareh pour cultiver les palmiers d'Arec et les lianes à feuille de Pan. La branche dialectale de Lamin, Amkoi et Nongbareh appartient au sous-groupe dialectal du Nongtalang mais présente des traits phonologiques et grammaticaux particuliers par rapport aux autres dialectes parlés dans les villages proches du Nongtalang. Les villages de cette branche ont également un trait particulier dans leurs rituels funéraires. Au cours de la crémation, les os du défunt ne sont pas retirés des cendres du site de crémation pour être transportés et isolés dans un cairn individuel à l'orée du village. Ils demeurent sur place et sont simplement recouverts de terre. A Amkoi ils sont déplacés et enterrés directement entre les racines d'un arbre du bosquet sacré. A Lamin, une palissade de bambous protège les os contre les animaux de la forêt et permet aussi de les localiser pour la cérémonie secondaire du lum sh'iang, comme à Lamet, autre village môn-khmer au nord du Laos. Comme on le voit ici, le bûcher est tout proche des grands arbres du bosquet sacré : derrière le bûcher, on voit un banian où s'adossent les gens. Ces grands arbres nourrissent les êtres que la crémation a libéré de leur corps terrestre dans le monde du sous-sol et les mettent en communication avec les autres êtres du sous-sol, notamment leur rivière et leurs ancêtres. Les hommes terrestres nourissent la base tra des arbres avec le sang et l'alcool du sacrifice. Tra désigne également l'origine, le fondement d'une lignée terrestre ou céleste. Les êtres du sous-sol pourvoient en descendance et en récoltes. Le séjour dans le monde du sous-sol doit permettre à l'être du sous-sol, réduit sur terre à ses os, de se purifier et de devenir enceint des semences des générations à venir du clan, avant de se libérer du statut d'ancêtre limité à sa maisonnée pour se fondre dans l'ancêtre du clan. Cette deuxième élévation dans l'ordre des êtres animés a lieu au cours de la cérémonie de lum sh'iang. La pratique "d'ensemencement des os" d'un défunt dans la terre du bosquet sacré afin qu'ils produisent, comme les fleurs de plantes édibles et les fleurs de palmiers d'arec, les semences futures du clan, est intéressante à plusieurs points de vue. Cette conception reproduit, dans le cycle de vie qui lui est propre, la cérémonie de fondation d'un village. Au cours de la cérémonie de fondation, des pierres représentant les clans fondateurs sont littéralement "plantées" (prennent racine) au pied des arbres du bosquet sacré. Ce bosquet est alimenté par le cours d'eau qui délimite les nouvelles terres des clans alliés fondateurs. Ces terres sont bornées par des pierres associées rituellement aux pierres des fondateurs du bosquet sacré et ne peuvent être déplacées sous-peine de malédictions diverses pour les familles des voleurs. On demande aux ancêtres des clans fondateurs de s'associer à ces pierres sous l'auspice des ancêtres war et sous l'auspice des alliances précédentes avec les ancêtres pnar. Des cérémonies présentant de nombreuses analogies, de fondation de villages et de "fondation" d'ancêtres par des cérémonies funéraires secondaires, ont été décrites chez les munda et dans d'autres groupes môn-khmer.
D'un point de vue plus directement linguistique, cette conception cosmogonique de cycles de vie qui inter-agissent, se reflète dans les noms munda et mon-khmer de personnes, du riz et des millets en grain, des rivières et de leurs grottes, des os terrestres et de l'au-delà, des ancêtres de villages et de districts, des rochers et des pierres cérémonielles, des mâts de sacrifice et des grands arbres. La construction du bûcher et la façon de lui communiquer le feu obéissent à des prescriptions précises. De même, le corps est orienté Est-Ouest, comme les villages et comme les tombes claniques, la tête à l'Est. Tous les objets précieux du défunt ainsi que les tissus précieux offerts par les alliés et amis sont brûlés avec lui, comme le parapluie au premier plan, qui semble protéger une dernière fois la tête, avec l'humour particulier qu'on retrouve dans les récits war. L'officiant a permis que je prenne cette photo alors qu'il n'a pas permis l'enregistrement des prières en me disant que la défunte aurait sûrement aimée être prise en photo de son vivant mais qu'à défaut cette dernière image ne lui aurait pas déplue !